La Théâtralisation du pouvoir de Superman

Publié le par B2soummam

L'essai qui va suivre a été écrit dans le cadre d'un concours dont le thème était la théâtralisation du pouvoir.

La Théâtralisation du pouvoir de Superman

Un anniversaire important est célébré en 2018: les 80 ans de Superman. C’est en effet le 18 avril 1938 qu’est apparu chez les marchands de journaux américains un petit fascicule, sobrement intitulé Action Comics, qui présentait sur sa couverture un curieux personnage, assez fort pour soulever une voiture à mains nues, et vêtu de façon atypique, pour ne pas dire ridicule : tout en bleu, à l’exception de quelques touches de rouge apportées par une paire de bottes, une grande cape emportée par le vent, un slip de bain posé par-dessus ses collants, et un S sur fond jaune qui décore sa poitrine. Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Non. C’est l'un des premiers d’une lignée de héros nouveaux, qui, aussi risible qu’il puisse sembler ainsi décrit, a connu un impact puissant sur notre société. L’objet de cette étude ne sera cependant ni l’histoire du genre super-héroïque, ni celle de Superman. Il s’agira d’étudier la théâtralisation de son pouvoir.

Et il faut bien préciser de quel pouvoir il s’agit. Superman a beau être un surhomme ayant possédé un nombre important de dons (si bien que dans les années 70/80, les auteurs lui en inventaient au gré des besoins scénaristiques), son plus grand pouvoir, celui qui constitue son essence et celle de tous les super-héros lui ayant succédé, réside ailleurs. Le Larousse définit le super-héros ainsi : « Dans les comics, héros aux pouvoirs extraordinaires combattant des menaces contre lesquelles les forces de l’ordre traditionnelles restent impuissantes. » Cette définition, loin d’être exhaustive, pose tout de même une base intéressante : les super-héros affrontent des menaces contre lesquelles les forces de l’ordre traditionnelles, c'est-à-dire la police, l’armée, l’État, des formes de pouvoir souverain légitimées par la loi, restent impuissantes. Le super-héros possède donc, ou au moins revendique, une forme de pouvoir supérieur à celui de l’État, mais qui n’est pas légitimé par ce dernier auprès des citoyens qu’il veut défendre, ni du lectorat qu’il doit impressionner.

Ce pouvoir n’est pas sans rappeler le thème du concours pour lequel cette étude est écrite : César, Henri IV, Napoléon, Hitler… Tous ces dirigeants n’ont pas seulement imposé leur pouvoir, ils l’ont légitimé, en se présentant comme des êtres supérieurs, via des représentations picturales de leurs personnes (tableaux, statues…), des œuvres architecturales reflétant leur grandeur et tant d’autres moyens ; un ensemble de mises en scène remarquables par leur sens du détail. Pour les super-héros, et surtout pour Superman, ce sens du détail ne manque pas, et nombreux sont les procédés déployés par les scénaristes, dessinateurs, ou encore réalisateurs pour faire de l’Homme d’Acier un véritable mythe, dans le sens traditionnel, comme dans le sens barthésien du terme. Roland Barthes, dans son recueil Mythologies, désigne le mythe comme "une parole", "un système de communication, un message", dont l’étude relève du domaine de la sémiologie. Superman a d’ailleurs été le sujet de plusieurs essais sous cet angle, notamment par le sémiologue italien Umberto Eco. Et le message qu'envoie le héros est le même que celui de Napoléon. Superman est un être d'exception, un surhomme dans tous les sens imaginables du terme. C'est LE héros de toutes les situations.

Le but de cette étude sera donc de décortiquer tous les détails composant le mythe de Superman, et ainsi déterminer en quoi Superman paraît aussi super.

I Le super-costume

La première impression est la plus importante, surtout pour un personnage issu de la bande dessinée,un média pour lequel il est bel et bien légitime de juger une œuvre à sa couverture. Et qu'est-ce qui attire l'attention en premier ? Le costume.

Le costume de Superman est sans doute l'essence même de son identité. Et bien que le personnage ait connu quelques périodes de changement drastique, celles-ci n'ont jamais duré bien longtemps, le costume classique revenant toujours sur le devant de la scène. Et, plus que de simplement iconiser l'Homme d'Acier, l'ensemble des attributs de sa tenue constitue les codes fondateurs  de l'uniforme du super-héros : cape, collants, logo… Tous ces accessoires sont des rouages essentiels de la mise en scène de leur pouvoir, et de celui de Superman.

Le Blason

Le plus évident : le S sur sa poitrine. On pourrait facilement affirmer qu'il s'agit simplement de son initiale, et bien que cela ait été le but originel des créateurs du personnage (Joe Schuster et Jerry Siegel), les nouveaux auteurs au fil des décennies ne se sont pas gênés pour lui donner de nouvelles significations. Le "S" est d'abord le blason de la famille "El", sur la planète Krypton, d'où est originaire le héros encapé. Et dans le langage kryptonien, la forme de la lettre signifie également "espoir". Arborer ce S est non seulement un moyen de rappeler les origines extra-terrestres (donc célestes) du personnage, mais aussi un moyen de porter constamment un message fort, "j'apporte l'espoir", ou même encore plus fort : "j'incarne l'espoir".

Une autre version de la symbolique de ce S est apportée, à la suite du récit L'Homme d'Acier, de John Byrne, un des écrits fondateurs de la mythologie de Superman, qui a réinventé et modernisé ses origines. Dans cette version, le S représente le serpent, qui, pour les peuples amérindiens, signifiait la guérison (comme le serpent du caducée dans la mythologie antique). Un symbole tout aussi positif, donc, d'autant plus qu'il apporte au personnage une certaine légitimité américaine, Superman étant si associé aux États-Unis qu'il s'imprègne de sa culture la plus ancienne.

Plus que la signification du S, c'est sa calligraphie atypique qui le rend aussi marquant, et si elle a mis du temps à s'instaurer, elle reste aujourd'hui un des éléments clés de son iconographie. La largeur de la lettre est inconstante, laissant penser que le rouge et le jaune luttent pour la dominance du blason, et le bout inférieur du S est rond, tandis que son bout supérieur est angulaire, ressemblant presque à une flèche. Ce logo rappelle peut-être la trajectoire du héros lorsqu'il quitte la terre ferme en s'envolant vers les étoiles ?

Pour revenir à la mini-série de comics L'Homme d'Acier, citée plus haut, dans sa préface, l'auteur partage ses souvenirs d'enfance et ses premiers contacts avec le personnage qu'il a eu l'honneur d'écrire : "il m'a fallu que je me mette à lire [une bande-dessinée Superman] pour m'apercevoir que l'emblème, sur la poitrine de Superman, était un 'S' stylisé. Jusque-là (…) j'y voyais deux poissons nager à contre-courant".  Ainsi, tel un test de Rorschach, ce logo semble pouvoir inspirer des interprétations différentes qui ne font que le rendre plus mystérieux, élevant encore plus le personnage au rang d'être légendaire.

Et n'oublions pas que le S n'est pas accolé directement à la poitrine bodybuildée de l'Homme d'Acier, mais est encadré par un contour, un blason qui aura connu plusieurs formes, chacune d'entre elles semblable à un bouclier (le S peut-il alors être l'initiale du mot anglais shield ?). Dans sa première apparition en 1938, le message est clair : Superman est un justicier, donc son blason a la forme d'un insigne de policier. Cette forme change au bout de quelques numéros et devient un triangle, plus simple à dessiner, jusqu'à 1940, année où la forme iconique que l'on connaît aujourd'hui est adoptée : un diamant. Et en effet, Superman est invulnérable et unique, comme le diamant est incassable et précieux.Y'a-t'il symbole plus représentatif du personnage ?

La cape

La cape rouge de Superman. Il n'en a pas besoin pour s'envoler, mais s'il ne la portait pas pendant qu'il vole, il ne serait plus vraiment Superman.

Peut-être joue-t-elle le rôle des ailes de l'Ange de Metropolis ? Superman n'est ni un oiseau, ni un avion, mais il n'est pas pourtant un OVNI. Sa cape est un élément essentiel pour le reconnaître. S'il n'avait pas ce grand tissu rouge pour suivre ses mouvements, il ne serait qu'un homme en bleu dans un ciel bleu, donc tout à fait invisible. Et puis, lever les yeux et apercevoir un tissu rouge s'agiter au gré du vent, tel le tapis magique d'Aladin, suscite assurément de l'émerveillement.

Cet attribut n'est pas sans rappeler la Rome Antique, et la cape dont s'ornaient le centurion, ou le général victorieux. Elle est symbole de puissance et de conquête, raison pour laquelle elle sied si bien au personnage, qui, avec elle, conquiert à sa façon les cieux. Mais ce qui diffère de l'Antiquité, c'est peut-être sa longueur, atteignant au minimum les genoux du surhomme. La cape semble être un organe supplémentaire, qui agrandit la silhouette du héros (à la carrure déjà bien imposante), le rendant encore plus impressionnant et plus surnaturel qu'il ne l'est déjà. Superman est au dessus du commun des mortels, et cela doit être évident. La cape sert donc à le rappeler, mais elle n'est pas le seul accessoire ayant ce but.

Les collants et le sous-vêtement

Ce n'est pas un secret, le costume de Superman est directement inspiré de celui des acrobates de cirque, le personnage jouant la carte du sensationnel jusqu'au bout.

Aujourd'hui, le cirque n'est peut-être plus aussi impressionnant, mais il faut rappeler que Superman a été créé dans les années 30, où l'on entrait à peine dans la modernité. Il est pris pour un avion et est régulièrement désigné comme "plus puissant qu'une locomotive". Clairement, les standards du spectaculaire étaient beaucoup plus bas que dans notre époque, et les collants moulants aux couleurs vives y correspondaient.

Mais à la limite, les collants peuvent encore passer de nos jours. Ce qui en revanche est jugé ridicule et est constamment un sujet de dérision, c'est l'espèce de slip de bain ("trunks" en anglais) porté par-dessus sa combinaison, élément qui a fait son grand retour pour les 80 années du héros (après 7 ans d'absence). Il s'agit aussi d'un emprunt direct au cirque, et plus précisément aux "hommes forts" du cirque qui, pour des soucis de pudeur, portaient de tels maillots par-dessus leurs collants trop moulants. C'est donc une référence à l'homme fort, ce qui est tout à fait normal étant donné la force colossale du héros. Mais à la différence du circassien, le slip de Superman ne sert pas à dissimuler ses attributs génitaux, mais au contraire, à les mettre en valeur.

Le super-slip, tout comme toute la combinaison, est un des éléments qui font que le personnage est sexualisé. Il est censé dissimuler sa virilité, mais sa couleur rouge créé un fort contraste avec le bleu, et attire directement le regard vers la zone intime. De plus, si Superman porte un costume aussi moulant, c'est bien pour mettre en valeur son incroyable musculature. C'est un surhomme, il est au-dessus de l'homme dans tous les domaines, y compris le domaine physique. Et toutes ses représentations picturales et cinématographiques nourrissent cette sexualisation : la plupart des dessinateurs ne se gênent pas pour bien mettre en valeur tous les aspects de son physique (y compris ceux qui ne sont pas visibles) et le choix des acteurs l'incarnant à l'écran n'est jamais anodin (le dernier en date, Henry Cavill, étant considéré comme "l'homme le plus sexy au monde" par de nombreux magazines people).

 

Le costume de Superman est donc important dans la construction du mythe au vu de tous les messages qu'il exprime. Il serait aussi intéressant d'analyser ses aspects humanisant le personnage (son visage découvert par exemple), mais cela nous ferait nous dévier de Superman, le héros, pour se mettre à parler de Clark Kent, son alter ego, qui n'est en rien aussi spectaculaire que le héros. Pourtant, sur le plan métalittéraire, Clark Kent est un élément important du mythe de Superman, car aidant à constituer sa mythologie.

II La mythologie de Superman

Avant d’être un mythe barthésien, Superman correspond tout à fait à la définition du mythe traditionnel : il est un personnage au cœur de récits fabuleux et populaires, souvent une allégorie d’aspects de la condition humaine, et presque systématiquement l’étendard des valeurs morales de sa société d’origine (celle des États-Unis). De plus, il possède son propre univers, un ensemble de personnages, de lieux, d’épisodes iconiques, qui vont jusqu’à constituer sa propre mythologie. C’est cette mythologie que nous allons décrypter.

Mais il faut préciser que les aventures de Superman et de son entourage ont été contées via tous les médias possibles (bande dessinée, feuilleton radio, roman, série télévisée, film…) et qu’un grand nombre d’auteurs et d’artistes ont contribué à ce qu’est le personnage aujourd’hui. Bien qu’il y ait un canon désigné par l’éditeur de comics DC (encore que même ce canon renferme son lot de contradictions), on ne peut nier toutes les versions alternatives du personnage, dont la synergie transcende la différence des médias (sans ses courts métrages animés des années 40 par exemple, Superman n’aurait pas le don de vol, ni un blason en forme de diamant). Donc nous ne nous limiterons pas à une version unique de Superman, mais à l’ensemble de ses représentations qui, à quelques exceptions, regroupent finalement toujours les mêmes éléments.

Quels sont donc ces éléments ? Le premier d’entre eux est l’origin story du héros, dont l’épopée commence à des années-lumière de la Terre, sur Krypton, une planète bien plus développée que la nôtre, qui est au bord de l’explosion. L’éminent scientifique Jor-El, qui avait prédit l’extinction de son monde, décide de sauver son fils Kal-El, encore nourrisson, en l’envoyant dans une capsule vers une planète qui saura l’accueillir, et où il pourra accomplir de grandes choses. L’enfant atterrit dans une petite ville du Kansas, nommée sans surprise Smallville, où il est recueilli et adopté par un couple de fermiers (qui sont ironiquement infertiles) : Jonathan et Martha Kent. Le petit, qu’ils ont renommé Clark, connaît une enfance rurale heureuse, mais pas normale cela dit, devant cacher les dons surhumains que lui procure le rayonnement solaire.

Ce qui fonde vraiment le mythe de Superman n’est cependant pas son origine, qui est un moment fixe et révolu dans son histoire, mais le schéma narratif de ses aventures, un statu quo qui est resté inchangé pendant des décennies, et qui a fait la longévité du personnage. Ce statu quo repose sur la double identité du héros : d’un côté on a Superman, le presque invincible ange bleu qui défend la métropole de Metropolis, et de l’autre côté, Clark Kent, couard, maladroit,beaucoup moins charismatique que son alter ego, bien que reporter pour un grand journal (le Daily Planet). Ce ne sont donc pas juste les exploits du surhomme qui forment le squelette narratif de ses aventures, mais la gestion de cette double identité. Et cette double identité est en plus la source d’un triangle amoureux, incluant l'ardente Lois Lane, également reporter pour le même journal. Il n’y a pas de Superman sans Clark Kent, et encore moins sans Lois Lane (l’une des nombreuses séries télévisées sur le personnage s’intitule d’ailleurs Lois & Clark). La tension romantique entre Lois, Clark et Superman est un élément tellement essentiel, qu’il faut attendre 40 ans (1978) pour qu’elle découvre la vérité sur son identité, et 18 années supplémentaires (1996) pour qu’ils se marient.

D’autres éléments s’ajoutent à ce portrait de famille : son rédacteur en chef, Perry White, son meilleur ami et collègue, Jimmy Olsen, sa cousine, Supergirl, son super-chien, Krypto, ou encore tous les autres dérivés en Super qui ont pu être imaginés en 80 années d'intrigues (dont les différentes itérations de Superboy et Superwoman). Et que serait un super-héros sans ses super-vilains ? Superman en a toute une collection, dont son ennemi juré, Lex Luthor, le vicieux milliardaire. Tous les énumérer serait fastidieux, mais tout ça pour dire que la liste de personnages récurrents dans les aventures de l'Ange de Metropolis est aussi colossale que le protagoniste autour duquel ils gravitent.

Aventures qui, en plus de leurs personnages clés, possèdent des lieux iconiques tout aussi importants : Krypton, Smallville et Metropolis, une planète et deux villes qui ont chacune donné leur nom à une série télévisée ; la tour du journal pour lequel Clark travaille, avec la petite planète dorée sur son sommet qui rappelle ses origines cosmiques ; la Zone fantôme, une dimension-prison où les criminels les plus dangereux de la galaxie sont enfermés ; l’incontournable Forteresse de la Solitude, bastion en cristal en plein cœur de l’Arctique, qui est en prime un musée privé renfermant les vestiges culturels high-tech de Krypton et une impressionnante collection de souvenirs de la croisade contre le mal de l'Homme d'Acier.

La mythologie de Superman va jusqu'à avoir son propre bestiaire extraterrestre (les kryptoniens, mais aussi les daxamites, les coluans…) et sa propre minéralogie, celle des kryptonites, talons d'Achille de l'Homme d'Acier : un ensemble de roches provenant de sa planète natale, se déclinant en plusieurs coloris, chacun avec un effet différent.

Tous ces éléments emblématiques du héros au S rouge, et les ressors scénaristiques qu'ils impliquent, codifient ses aventures, appuyant bien le fait qu'il s'agisse d'un univers propre au personnage. Les aventures de Superman ne reposent cependant pas uniquement sur des codes narratifs, mais également sur des codes linguistiques.

En effet, cette mythologie possède des tics de langage qui lui sont très propres. Tels les épithètes des personnages mythiques de l'Antiquité, les surnoms de Superman sont importants (l’Homme d’Acier, l’Homme de Demain, l’Ange de Metropolis, le Dernier fils de Krypton…), tout comme les nombreuses citations qui lui sont relatives : les questions que se posent les citoyens de Metropolis en l’apercevant "Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ?", les valeurs qu'il défend "Truth, Justice and the American way" (traduit littéralement : la vérité, la justice et le mode de vie américain), la capacité de Superman à être "faster than a speeding bullet" et "more powerful than a locomotive" (plus rapide qu’une balle tirée, et plus puissant qu'une locomotive) ou encore les phrases fétiches du héros, avant de s’envoler "Up, up and away !" (Plus haut, plus loin!) et simplement avant d’aller combattre le crime "Ça c’est un boulot pour Superman !". Et même le quotidien de Clark Kent possède ses redites : les excuses de Clark pour s’éclipser et partir combattre le crime, du genre "j’ai oublié de faire ceci" ou "j'ai laissé cela ouvert", ou le juron fétiche de son patron, "Great Caesar's Ghost!" (Par le fantôme du grand César !).

On peut ajouter à toutes ces catchprases une particularité des plus atypiques de l'univers de Superman : la présence de deux L dans les noms de nombreux de ses personnages. Lois Lane (et sa sœur Lucy), Lex Luthor (dont la sœur s'appelle Lena, la mère Lillian et le père Lionel), Lana Lang, Linda Lee, Lori Lemaris, Lyla Lerrol… Même le nom de naissance de Superman possède un double L : Kal-El (orthographié Kal-L jusqu'en 1942, année où est sorti un roman qui a instauré une nouvelle orthographe). Il n'y a pas de raison particulière pour justifier cette allitération, mais elle a souvent été au cœur de quiproquos, et contribue à l'ambiance si particulière des aventures de l'Homme de Demain.

C’est donc une mythologie digne de celles de l’Antiquité qui entoure l’Homme d’Acier. Et cette similarité avec l’Antiquité est mise en lumière par la présence des nombreuses versions alternatives dont nous avons parlées, qui apportent au personnage un historique flou, sans une seule version officielle, tout comme avec les personnages des mythes antiques, dont les détails varient d'une version à l'autre. Mais en plus d'être mythifié, on peut, sans une once d'hésitation, affirmer que Superman est déifié.

III Déification du héros

Superman est un Dieu. Même en étant complètement néophyte en ce qui concerne le personnage, quand on voit que DC, son éditeur, le considère officiellement comme part de sa Trinité (aux côtés de Batman et Wonder Woman), et sous-titre un des jeux-vidéos dont il est une vedette "Les dieux sont parmi nous", il est plus qu'évident que Superman appartient au monde du divin.

Les références religieuses sont légion dans l'histoire de Superman, à commencer par son origine : un enfant abandonné par ses parents pour le sauver, qui arrive sur une nouvelle terre, est adopté et élevé par un couple d'autochtones, et qui, une fois adulte, découvre ses origines et devient le sauveur de tout un peuple. La backstory de Superman est la même que celle de Moïse, les seuls détails qui varient étant la destination (de Krypton à la Terre pour Supes et de la Palestine à l'Egypte pour Moïse) et le moyen de transport (un panier sur le Nil d'un côté, et une navette dans l'espace de l'autre).

Un autre emprunt à la culture judaïque se trouve dans son nom de naissance : Kal-El. Le suffixe "el" en hébreu (que l'on retrouve dans des prénoms comme Gabriel ou Michael) évoque ce qui est relatif à Dieu, et Kal-El pourrait donc signifier "la voix de Dieu", mais aussi "dieu léger" (kal signifiant léger en hébreux), ce qui ferait référence au fait qu'il puisse voler. Bien que les créateurs du personnage n'aient jamais pu confirmer ces dires, ils sont tous deux d'origine juive, donc un tel choix onomastique est fort probable.

Mais la comparaison religieuse à laquelle on se réfère le plus est sans doute celle avec le Christ. Certains fans vont même jusqu'à surnommer Superman "Space Jesus". Il faut tout d'abord repréciser que Superman – en bon américain qu'il est – est l'incarnation même de l'idéal de morale chrétienne, avec autant de faiblesses spirituelles qu'il a de faiblesses physiques, c'est-à-dire aucune. Superman n'est pas humain, il doit cacher son identité, il est profondément bon, réalise des miracles, et a pour mission de faire régner le bien au sein de l'humanité, mission pour laquelle il est prêt à se sacrifier ; la mort de Superman étant un événement relativement récurrent dans les comics. Et le sacrifice de Superman est systématiquement suivi d'une résurrection, où il revient encore plus puissant. L'analogie avec Jésus est évidente, et beaucoup d'auteurs et de scénaristes se sont appuyés dessus (le film Man of Steel de 2013, par exemple, joue sans cesse sur cet aspect religieux du personnage).

Et comme on l’a dit plus haut, Superman est un faiseur de miracles. Il est presque invulnérable (son unique faiblesse, la kryptonite, est une des ressources les plus rares de l'univers), il est suffisamment fort pour déplacer une planète, et suffisamment rapide pour inverser la rotation de la Terre et voyager dans le temps. Il est doté d'une ouïe et d'une vision hyper accrues (pouvant voir et entendre des événements se déroulant à des kilomètres de sa position), ainsi que d'une grande intelligence et d'une mémoire infaillible. Il peut voler, projeter des rayons thermique avec ses yeux, geler des objets avec son souffle, aspirer n'importe quel gaz toxique pour le recracher hors de l'atmosphère, et possède encore plein d'autres dons. L'origine de ses pouvoirs renferme aussi une forte symbolique : il les tient du rayonnement de notre soleil.

Superman est donc presque omnipotent. Son ouïe et sa vue, couplées à sa grande vitesse, lui permettent d'être à l'affût de tout danger et de s'y rendre quasi instantanément, tandis qu'il peut aisément changer l'ordre des choses avec sa capacité à remonter le temps (ce qu'il fait, par exemple, lorsque Lois meurt, pour pouvoir la sauver, dans le film Superman de 1978). Ainsi, les exploits de Superman s'enchaînent et font même presque partie de son quotidien. Des exploits dignes des douze travaux d'Hercule ou de ceux d'Ulysse, dans lesquels il redouble de force, de courage et de ruse. Superman arrive à réaliser littéralement l'impossible : l'un de ses ennemis (sans doute le plus farfelu), Monsieur Mxyztplk, ne peut être vaincu que si on lui fait dire ou épeler son nom à l'envers (soit Klptzyxm), chose que Superman parvient à faire à chacune de ses venues à Metropolis.

Et bien sûr, la déification passe par la représentation visuelle. Nous l'avons déjà précisé, Superman a un corps d'Apollon, ce qui suffit à le déifier. Mais plus déifiant encore est la mise en scène de ses apparitions, qu'elles soient sur des affiches, les couvertures de comics, ou bien dans certains plan filmiques. L'angle de vue est toujours choisi de façon à faire ressortir sa puissance et sa supériorité : plongeant lorsqu'il s'envole, contre-plongeant lorsqu'il est au sol. Il est aussi souvent représenté comme le messie qui descend des cieux, flottant lentement, le soleil derrière lui. Le Superman de Zack Snyder (dans les films Man of Steel, Batman v Superman et Justice League) est constamment filmé dans ce genre de configurations, ou dans des plans où la déification est encore plus flagrante, comme le moment surréaliste où Superman est encerclé par une foule de gens ébahis, presque livides, face à la présence d'un être divin, tendant tous le bras pour le toucher, et ainsi s'assurer qu'il existe bien.

Superman est donc bien un personnage à la prestance hors du commun. Il pourrait sembler être unidimensionnel, car trop parfait. Or, c'est cette perfection qui fait toute sa profondeur, lui donnant une aura mystérieuse, mythique, voire divine. Et huit décennies après sa création, il continue d'être célébré, dans ses propres aventures, mais aussi par la prolifération des histoires de super-héros, qui héritent tout de lui, tant il est la quintessence de ce genre.

Sources :

Sitographie :

•Superpouvoir.com

•Comicsblog.fr

•Mdcu-comics.fr

•Supermanhomepage.com

•The Times Israel

•Wikipedia

 

Bibliographie :

Histoire du comic book (des origines à 1954), de Jean-Paul Jennequin.

•La philo des super-héros, d'Élodie Denis et Jonas Mary.

•De Superman au surhomme, de Umberto Eco.

•Mythologies, de Roland Barthes.

Superman : L'Homme d'Acier, de John Byrne.

 

Et de nombreux récits de Superman en comics, ainsi que des adaptations diverses en films et épisodes de séries, en prises de vue réelles ou animés.

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